Lodz - Chronique http://www.dmute.net/

Lodz, serait la "terre promise", d'après Wladislaw Reymont et Andrej
Wajda (un écrivain et le cinéaste l'ayant adapté à l'écran). Une ville
polonaise qui garde jalousement sa beauté malgré les mauvais coups de
l'Histoire. Une cité qui ne permet qu'aux seuls observateurs attentifs
de la découvrir, récompensant les persévérants de son charme et sa
magie.
On pourrait en dire autant de Heniek, cette nouvelle sortie du label
Tsuku Boshi, initiée par celle qui se fait aussi appeler Lodz.

Dès les premières notes de piano - instrument omniprésent sur cet
album - on s'imagine aux portes d'un endroit, mi réel mi fantasmé, où
s'estompe une ville et ses remugles historiques distendus dans les
mouvements d'un air excessivement froid et pur. C'est là, aux confins
d'un ailleurs sans nom, tout juste rêvé, qu'aurait bien pu éclore cette
musique à part, il y a quelques éternités. Seulement voilà, Pauline
"Lodz" Nadryczny, tout juste née d'un dernier orage, n'a rien d'une
ancêtre. Ce qui toutefois ne l'empêche pas d'avoir une solide
expérience dans l'hybridation sonore ( le projet Côme avec Tellemake ou
son duo avec Anne Sulikowski aka Building Castles Out Of Matchsticks),
et, tout en ayant tourné sa musique vers l'avenir, d'accaparer un
terrain de jeu marqué par les âges, étendu de Rilke à Apollinaire (dont
les textes sont respectivement saupoudrés au fil des titres Cornette et
Rhénanes), de Bartok (East) à Marin Marais (Hanna Rêve). Expérimentée
et érudite, elle n'en fait pas pour autant une montagne, toutes ces
références étant subtilement suggérées, en toute "implicité".

Compliqué alors de filer un cousinage pertinent, si ce n'est peut-être
du côté de chez Colleen, Mira Calix et d'autres guérilleras des
mutations soniques. Difficile à étiqueter, en somme. Tant mieux. On
gagnera au change, face à l'émergence de ce petit bout de mystère. De
ceux épais, que l'on espère en secret ne jamais lever, pour garder le
plus longtemps possible la saveur de l'écoute de telles chansons - car
c'est bien de cela qu'il s'agit - timides et complexes, portées par une
voix un peu perdue, distante, comme floutée par un brume glaçante et
enveloppante.

A peine susurrés, expirés, ces jolis mots éreintés par le temps,
abreuvés d'éther, nous arrivent dans un même souffle portant à la fois
une douleur et son baume. Non, tout n'est pas rose chez Lodz, une
certaine noirceur imprégnant même le théâtre des opérations. Faite de
chaos et d'errements, âpre et instable à l'intérieur, elle voile
doucement de ses distorsions électroniques la candeur organique de ces
bluettes fantomatiques (Maror).

Heniek est de ces contes étranges qui ne s'apprivoisent pas facilement
mais qu'on aime écouter, à l'orée du sommeil, les laissant s'insinuer
dans nos pensées ébauchées,et précipiter ces bribes de rêves dans des
mondes improbables et intrigants. Entre quiétude et imprévus, mirage et
vérité, cette musique, parmi les plus exigeantes et singulières du
moment - à l'image de la ligne artistique d'un label tout aussi
remarquable - pourrait bien réaliser l'exploit de nous réconcilier avec
l'hiver. Un album de saison qui arrive à point, en quelque sorte.

Chroniqué par Yvan
le 02/12/2008